Parkland : la mort de Kennedy sous un nouvel angle

3 Octobre 2013



Loin des spéculations et autres théories du complot auxquelles Hollywood nous avait habitués, JFK d’Oliver Stone en tête, Peter Landesman privilégie ici le cercle restreint, de ceux à qui l’assassinat de Kennedy a changé le quotidien à tout jamais dans un Parkland on ne peut plus intimiste.


Photo extraite du film
Photo extraite du film
Que connaissons-nous de ce fameux 22 novembre 1963 ? Une parade à Dallas, qui finit par une balle dans le crâne du Président le plus populaire de l’histoire du Nouveau Monde. Mais à part cela ? Que savons nous de l’enquête ? Que savons de ce qu’est devenu Kennedy après la fusillade ? Que savons des 72h qui ont suivi cet évènement ? Assez peu au final. Là se trouve le point d’orgue de Landesman, qui utilise son expérience passée au New York Times pour faire un film qui se voudrait d’investigation voire documentaire par moment, bien qu’intégralement basé sur le livre de Vincent Bugliosi, intitulé Four days in November. Ainsi, Parkland vous montre l’envers du décor, du débarquement du Président à l’hôpital Parkland de Dallas, à l’enterrement de son assassin. Aucune investigation façon polar, aucune prétention de dévoiler des évènements cachés au public, aucune volonté de défendre une opinion complotiste à une autre. Brasser en 3 jours le destin de ceux qui sont sur la périphérie de ce jour noir est en soi une expérience beaucoup plus didactique et enrichissante. 
 
Un peu façon 24, nous changeons de point de vue très régulièrement, afin de suivre l’histoire de manière linéaire dans le temps. De la salle d’urgence tenue par un jeune interne, Jim Carrico, interprété par Zac Efron (on ne sait toujours pas pourquoi), à l’atelier d’un jeune tailleur juif désormais célèbre jusqu’à la fin des temps pour son film amateur de la fusillade, Abraham Zapruder, en passant par les locaux du FBI, de la police locale, ou par les membres de la famille de l’assassin. 
 
Rien n’est oublié. Et en même temps, l’intelligence du film réside sa capacité à ne pas se disperser, à rester autour de ces personnes là, et surtout à rester à Dallas. Les seules images de Washington que nous verrons seront diffusées à travers un écran télévisuel. Le sujet serait en réalité de montrer comment ce choc a bouleversé la société américaine à travers ces quelques personnages liés de manière très concrète à l’évènement. Montrer le traumatisme omniprésent, le début de cette paranoïa désormais naturelle dans les États-Unis post 11 septembre, et surtout de montrer le désarroi que la mort de « l’homme le plus puissant du monde » provoque dans l’ensemble des foyers. Désarroi que l’on trouve ainsi chez le garde du corps principal, interprété par Tom Welling (le Superman version Smallville, qui livre une prestation plutôt grandiose), désarroi au sein du FBI, désarroi même chez ce tailleur qui pensait faire une simple sortie en famille avec sa Super 8. Tous à leurs échelles représentent le malaise et le deuil supranational. 
 


Photo extraite du film
Photo extraite du film
On sent que cet attentat va être le déclencheur d’un cynisme qui ne quittera plus jamais les terres de l’Oncle Sam. Zapruder, l’homme qui filma le meurtre le plus célèbre de l’Histoire, en est la preuve. Cet homme, qui n’avait rien demandé à personne, se retrouve appréhendé par le FBI et les services secrets, car sa vidéo est la seule preuve restante, la seule archive des évènements. Du choc découle un profit non négligeable pour ce tailleur, qui négocia avec fermeté le prix de ce film au magazine Life. Le personnage de Zapruder est complexe et Paul Giamatti réussit, avec grand brio, à faire ressortir tous les aspects de cet homme : traumatisme, et pragmatisme. Pragmatisme, est un mot que l’on pourrait également utiliser pour évoquer plusieurs autres personnages, notamment celui de la mère de Lee Harvey, le meurtrier présumé de JFK, campée par Jacki Weaver. Hurlant sur les toits que son fils est un espion américain, elle songea déjà au livre qu’elle écrirait sur lui alors même qu’il se faisait interpeller. Pendant ce temps se trouve un jeune homme, dénommé Robert, frère de Lee, et qui, lui, subit de manière bien plus violente que les autres cette nouvelle, qui le suivra toute sa vie. La panoplie de réactions différentes, entre névroses et acceptations, est le meilleur moyen de comprendre ce que le 22 novembre 1963 a pu déclencher.

Car il est difficile, pour la plupart d’entre nous qui n’avons pas vécu ce jour, d’imaginer comment la nouvelle a été acceptée. Les images d’archives au début du film nous montrent un Kennedy comme nous ne l’avions jamais vu. Présenté comme un homme accessible, aimable et très aimé, John est un niveau au-dessus. Et l’on comprend très rapidement les enjeux que cela va provoquer. D’un point de vue institutionnel, comme d’un point de vue pratique. Et en se concentrant sur cesdits aspects pratiques, le film prend de la valeur. Même la douleur de Jackie Kennedy n’est pas un attrait initialement mis en place pour donner du relief au film, au contraire. Tout est dans la retenue, dans le calme, et le cinéaste évite ainsi de tomber dans du sentimentalisme, dont il a malheureusement du mal à se détacher. Mais cela n’empêche pas à Jackie de rester dans nos mémoires, notamment lors d’une scène à l’hôpital. Cette innocence angélique se retrouve entachée jusqu’au tailleur rose, et l’on tient là peut-être l’élément le plus inaperçu, mais qui vous atteint le plus.

Sur une trame dite historique, le film se déploie sur un spectre plus profond. Ce scénario explore de manière resserrée les faits, dégraissé de tout sensationnalisme. Pour exemple, le fameux film de Zapruder ne sera jamais montré, sauf à travers les lunettes des personnages. E n’est pas tant l’événement en soi que l’on cherche à dévoiler, mais bien l’héritage lourd qu’il va provoquer. Il est cependant dommage que l’on tombe facilement dans du pathos mielleux, dégoulinant à souhait de bon sentiment. Ces scènes facultatives cherchent à accentuer la douleur. Et c’est là que l’on voit que le réalisateur en est à son premier essai. Car si le scénario est d’une clarté nette, certaines scènes sont vraiment de trop. Cela étant dit, le film n’en ressort pas plus mauvais. La modernité de l’approche de cet événement est déjà un argument suffisamment convaincant pour aller se rendre dans les salles obscures. Ajouté à cela une photographie, des acteurs, un montage et un scénario fondamentalement béton, et vous tiendrez là un film-choc.

Notez


Arthur Cios
Étudiant à Sciences-Po Paris, 2ème année. Cinéphile averti depuis 1993. En savoir plus sur cet auteur